Un Rendez-vous.....peut changer beaucoup de chose [PV: Antonia,Esther]

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Un Rendez-vous.....peut changer beaucoup de chose [PV: Antonia,Esther] 14-81

Antonia,Esther & Maéva

Dans un coin du labo, ils fabriquaient elle ne savait trop quo Esther s'en fichait royalement. Son boulot, c'était les Chtoniens, pas la nouvelle fusée, la B780 ou elle ne savait trop quoi. Cela étant, elle serait enchantée de l'essayer... plus tard. Pour l'instant, elle réfléchissait encore sur ce type qu'ils avaient tué pas très longtemps avant. Bientôt ses copains viendraient faire des réclamations. Enfin... Ils viendraient faire une attaque pour le venger. D'un certain côté, de cette façon, ils en attraperaient plein. Mais elle ne savait pas vraiment combien ils étaient et elle pensait à engager des espions pour se mettre à cette tâche. Bref, ces ingénieurs l'épuisaient, ils s'imaginaient qu'elle était la chef de tout le monde, même la leur, et voulaient presque qu'elle vienne leur dire à tous, un par un, qu'ils étaient parfaits et que leurs inventions étaient géniales. Elle n'en pensait pas moins d'ailleurs, elle serait enchantée d'être la première à essayer cette nouvelle fusée qu'il venait de sortir. Cependant, pour le moment, elle était bien préoccupée par autre chose. Cela ne lui arrivait pas souvent pendant ses heures de travail. Elle était plutôt du genre sérieuse, elle ne perdait jamais la moindre minute. Mais réfléchir dans son bureau n'était pas très pratique. Elle avait besoin d'air. Elle, elle avait besoin d'air. Pourquoi cela ? Pourquoi savaient-ils tous rester enfermés comme ils le faisaient alors qu'elle devait toujours prendre le temps de respirer, de lever les yeux vers le ciel et ne pouvait-elle s'empêcher de se dire... que c'était beau ! La beauté... Qu'était-ce vraiment ?

- Je prends une pause.

Elle sortit en direction du centre commercial. Elle n'avait pas vraiment besoin d'y aller... Quoique, on a toujours besoin d'aller au centre commercial. Elle avait sûrement raté la sorti du nouveau modèle d'ordinateur qui pourrait lui être utile. N'importe quoi, pourvu qu'il fasse les calculs plus rapidement. Elle en aurait même espéré un qui calculait directement sans qu'on lui donne les informations pour le faire. Il y avait bien un moyen de connaître le nombre de Chtoniens dans cette ville... Oui dans l'autre ville. Elle n'en savait rien. Elle ne savait pas où était Chtonie. Si elle avait pu, rien qu'une fois, s'y approcher, y entrer, une fois encore et sans avoir les yeux bandés. Il lui fallait ses informations. Et pas moyens de se convertir à l'espionnage, elle était trop connue maintenant. Autrefois, quand elle venait de ce faire jeter par ce monstre que l'on appelait artiste, elle aurait été très bien accueillie dans leur planque. L'affaire était un peu plus délicate maintenant. Et pourquoi le centre commercial était-il si proche du labo ? Elle aurait voulu marcher un peu plus. Mais très vite elle eut l'impression qu'on la regardait bizarrement. Pourquoi marcher alors qu'il y avait des tapis roulants ? Ceux qui marchaient étaient "moisis", comme disaient les jeunes. Les autres jeunes, pas elle. Elle avait eu le temps de récolter du vocabulaire, elle avait entendu répéter cette pièce de théâtre et la jouer, et... Peu importe. Depuis peu, Esther avait l'impression qu'ils étaient partout. Lui, là, sur ce banc, ne cachait-il pas un livre dans sa poche ? Ce type avec ses écouteurs, était-ce de la B&T ou du violon ? Et elle, la blonde avec cette fleur en papier dans les mains, qui attendait elle ne savait trop quoi, pourquoi avait-elle cette fleur ? C'était inutile. Tout ce qui était inutile n'avait pas lieu d'être. Toutefois, au lieu de passer, son chemin, Esther s'arrêta en sursaut. ce visage... Elle le connaissait ! Oui, elle connaissait cette fille, elle en était sûre. Pourtant, cette époque remontait à quelques années. En plus, le passé est interdit, presque même le passé proche, alors elle n'avait aucune raison de s'en souvenir. A part si elle l'avait connu pendant ses maigres années d'humanité... Et soudain, le nom lui revint.

- Maéva ? C'est toi ?

- Maéva? C'est toi?

-Oui,oui, c'est moi.

-Ester, je suis surprise de te voir. Mais tu vas bien? Que fait-tu maintenant?

- A quoi ça ressemble, le violet ?

Etendue sur le lit. Une lumière au-dessus. Sentir la lumière. Elle ne voit pas la lumière, mais elle est là. A côté. Et se déplace. Et la caresse. Lumière toujours là et ne jamais partir. Antonia, maîtresse de sa lumière. Quelques instants encore, savoir où elle est, puis la quitter. Pour le moment. Un jour, revenir à la lumière. Mais elle a la couleur à aller chercher. Mêler musique à la couleur. Et inventer les couleurs, plutôt que deviner. Bientôt, elle irait au centre commercial. Où l'attend Maéva. Avec sa fleur. D'abord, savoir ce qu'est le violet et pouvoir dire: c'est beau. Luciana, sa lumière, marche. Toujours là. Elle range. Elle répond. La couleur de ta robe, Antonia. Robe douce. Si doux le violet. La lumière n'a pas tourné la tête. Antonia a entendu, elle ne dit rien. Sa robe est bleue. Lui laisser croire. La laisser rêver. Voilà tout ce que lui offre la lumière. Mais pas de vérité. La seule vérité est la musique. Violet. Couleur du lilas en plastique. Et le vrai ? Il n'existe plus ? Si, dans la forêt. Leur forêt. Il sent bon ce violet. Et si ses yeux étaient violets ? Les yeux de la lumière ? non, pas les siens, noirs. La lumière... bleus. La couleur du ciel. Elle connaît les couleurs des choses. Elle retient. Bleu le ciel, jaune le soleil, vertes les feuilles, rouge le sang. Le sang. Ce goût aigu. Le rouge fait mal aux yeux. Sûrement. Il pique. Il blesse.

- Je vais y aller, le centre commercial n'est pas à côté. Voilà le désavantage quand on habite loin de la ville...

Explications, pendant qu'elle se lève. Luciana n'aime pas la ville. Elle n'aime pas la science. Elle n'aime pas le monde. Elle aime Chtonie. Mais Chtonie sera détruite. Ils n'ont pas la force. Raison impuissante. Antonia debout devant la porte. Prête à partir. Dernier baiser. Mais elle part avec espoir. Chtonie survivra. Sa lumière ne la plongera pas dans l'ombre. l'extérieur, le froid de janvier, et la ville. Du bon à la science, parfois. Le tapis roulant, le tramway. Pas besoin de marcher. Pas de risque de tomber. Mais il manque l'humanité. On court sur le tapis roulant pour aller plus vite. Deux bousculent Antonia. Pas de pardon. Elle perd ses lunettes de soleil. Personne ne les lui ramasse. Elle cherche, enfin, trouve. Peu importe un pardon hypocrite. Connaître la ville : pas d'accident jusqu'à destination. Elle demande à son portable les nouvelles. Message de Maéva. Elle est arrivée. Cela aussi, bonté de la science. Le téléphone lui lit ses messages écrits. Maéva la verrait. "Maéva ? C'est toi ?" Oh cette voix ! Antonia se fige. "Maéva ? C'est toi ?" Cette voix. "Attrapez le". "Des criminels". "Prison". "Tuez-le". Quelques mots. La même voix. Maéva est par ici. Et elle. Elle la connaît ? Antonia se recule et se cache. Si elle la voit... Peut-être ne sait-elle pas pour Maéva. Mais pas de doute dans son propre cas. Perturbée. Elle entend tout. Des pas, des respirations. Perturbée. Elle ne reconnaît pas. Où est Maéva ? Ne pas se faire voir. Mais l'abandonner là ? Non ! Non, pas une deuxième fois. Ne pas répéter ses erreurs. rester humain.

Spoiler:

Esther essayait généralement d'oublier ce qu'elle avait vécu. De toute façon, ce n'était pas bien de penser au passé. Pire que mal, c'était interdit. Illégal. A oublier. Alors pour un passé aussi sombre, il valait mieux, pour son bien être, le mettre de côté. C'était quand même contradictoire, dans le fond, la façon dont ce passé interdit lui était pourtant essentiel. S'il n'avait pas eu lieu, que ferait-elle ici ? Tout un passé la poussait contre les Chtoniens et l'art, et se retrouver ainsi devant quelqu'un qu'elle avait connu lui soulevait des émotions qu'elle n'imaginais même plus en elle. Elle n'avait vu Maéva qu'une seule fois. Mais dans ce bal, toute sa vie s'était dessinée. Pourquoi avait-il disparu ? Elle n'avait jamais songé qu'il fût possible que quelques scientifiques les aient repérés. En fait, imaginait-elle encore que les choses se passaient ainsi alors ? Elle savait que ces gens, ses amis, avaient des pratiques illégales. Mais de là à imaginer que c'était eux, ceux que la police scientifique recherchait tout le temps... Non. Elle n'y aurait jamais cru. Dans ce bal, ces personnes qu'elles rencontraient pour la toute première fois étaient des amis. Des vrais amis. Pas ceux qui l'accompagnaient vaguement dans les couloirs du lycée et qui l'oubliaient dès qu'elle avait franchi la porte. D'ailleurs, n'en avait-elle pas devant elle une véritable preuve ? Quand Maéva se retourna et posa son regard sur elle, aucun doute qu'elle se souvenait d'Esther. Pourquoi fallait-il qu'ils cherchent à répandre le malheur ainsi ? C'étaient pourtant des gens très bien. Très humains. Esther douta de ce dernier point. L'humanité... Elle ne servait qu'à se rendre compte à quel point leur vie était misérable. C'était tellement plus simple de ne penser à rien et refaire toute la journée, dans la même prison le même mouvement. Comme ils vivaient tous alors.

- C'est incroyable, je ne pensais pas te trouver... là.

C'était même plus qu'improbable qu'elle puisse se retrouver devant elle en un lieu public. Quoique d'un certain point de vue, personne n'était censé savoir que Maéva était une Chtonienne. Esther ne le savait que par une chance inouïe. Et encore, pouvait-on appeler cela une chance ? Elle ne la connaissait pas vraiment, mais à ce moment elle aurait presque souhaité l'inverse. Mais... qu'est-ce qui la faisait penser comme cela ? Les amis n'existaient plus, ce n'était pas difficile ou rare de les trahir pour de l'argent ou quoi que ce soit d'autre. Alors quelqu'un qu'elle n'avait vu qu'une seule fois dans sa vie ? Elle voulait se débarrasser de cette humanité. Pourtant, ce sourire, cette façon de lui demander de ses nouvelles, tout était tellement bon tant que la misère ne prenait pas le dessus. Esther eut du mal à se remettre à parler. Elle avait l'impression d'être observé. S'il y avait bien une chose qui ne devait pas être trahie, c'était la science !

- Je suis vraiment... surprise de te revoir, Maéva. Peut-être même... enchantée, si j'ose dire. Et je vais très bien, j'espère que toi aussi... Est-ce que... tout se passe bien ? En ce moment je... je... je suis stagiaire dans un incinérateur. Je m'occupe des morts avant qu'on les brûle.

Ce n'était pas trop scientifique pour mettre Maéva en méfiance, ni trop littéraire pour attirer des soupçons. Esther s'attendait à s'en sortir avec cette réponse. Elle ne retourna, en revanche, pas la question. Encore un mensonge à inventer ? Elle n'avait pas encore assez de cruauté pour s'y résoudre.

- Oui, c'est incroyable et un peu fou, mais j'avais une course importante à faire.

-Moi aussi je suis surprise, je ne pensais rencontrer personne cette après midi... Oui tout se passe bien, enfin on fait ce qu'on peut pour ne pas ce faire découvrir.

- Et toi que fais tu ici??

Spoiler:

Cette cachette. Cette lâcheté. Un son strident, des voix de tout côté. Antonia arrête tout mouvement. Elle écoute. Elle se concentre. Elle ne pense pas. Plus aucun bruit. Elle devrait entendre la conversation. Elle n'est pas très loin, mais visible ? Une conversation. Quelque phrase. Certaines ne sont pas des deux cibles. Mais la reconnaissance de ces voix est exacte, pas de doute. Antonia entend quelques phrases. Amicales. Amicales ? Pourquoi amicales ? Elles se connaissent. Réponse de Maéva. Elle la reconnaît. Esther. Voilà son nom, Esther. Le nom de l'ombre, de la mort, de la ruine. Le nom des cris et de la souffrance. Le nom des ennemis. Et elles se connaissent. Maéva... traitresse. Ou Esther... espionne ? Pensées brouillées. Qui sont-elles ? Antonia n'a jamais su agir. Qu'aurait-il fait, lui ? Sur le bord de la mort, aurait-il laissé sa chance à un traitre, au risque de tomber dans le piège d'un espion ? Prière. Lui répondre, l'aider. Un indice. Un tout petit indice. Que faire ? Reculer... abandonner. L'abandonner. Une de plus. Non, jamais. Elle n'aime pas Maéva. Certes. Traitresse pour autant ? Parmi eux bien avant elle. C'est elle. Antonia. La traitresse. C'est elle. Qui abandonne et qui ment. C'est elle. Qui a peur et qui ne défend pas sa juste cause. On lui a lu la philosophie. Bonne mémoire. Si un prince me demande de dénoncer injustement un innocent au péril de ma vie, je peux encore refuser par honneur pour la morale. Antonia sort de l'ombre. Elles se sont rencontrées il y a longtemps. Antonia n'avait jamais entendu cette voix avant. Travailler dans l'incinération. Mensonge. Mensonge cruel. Chef de la police scientifique, plutôt, non ? Elle ne dira rien. Elle ne la connaît pas. Elle fera comme si. Après tout, elle ne l'a pas vue. Elle fait comme si elle n'était pas là.

- Salut Maéva ! Je suis contente que tu aies pensé à moi. Enfin contente... aussi contente que je peux l'être un jour où je croise ton chemin.

Haine contre Maéva. non, elle ne l'aime pas. Elle peut tout simuler devant elle. Elle peut la sauver. Elle peut mettre sa vie en péril. Elle la déteste. Toujours autant. Allez, son autocollant. Et qu'on n'en parle plus. Elle n'a pas vu Esther. Elle n'a rien entendu. Faire un effort et partir. Toutes les deux. Comme deux amis. Et ne jamais tourner son regard vers Esther. Ne jamais l'écouter parler. Prendre la main de Maéva. Antonia hésite mais s'exécute. Elles vont s'en aller. Comme deux amies. Deux très bonnes amies. Pas besoin de savoir ce qu'elle fait ici. Je m'en vais te le dire, moi, ce qu'elle fait ici. Emprisonner. Détruire. Déshumaniser.

- On pourrait aller boire quelque chose, qu'en dis-tu ?

Malgré tous ses regrets, Esther ne pouvait pas nier que c'était agréable de retrouver des vieilles connaissances. Quand Maéva avoua que c'était fou de la retrouver ici, que pouvait-elle répondre sinon que c'était assurément vrai ? Elle n'espérait même plus la revoir. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Depuis très longtemps, un sourire sincère et amical qui n'avait rien à voir avec son expression machiavélique quand elle trouvait enfin la cachette d'un Chtonien, prête à l'exécuter. En ce moment précis, elle n'en avait même plus envie. Elle voulait s'asseoir à une table avec son ancienne amie et parler de musique, de livres ou même... de leur ami commun, pourquoi pas. Parler de celui qui avait illuminé sa vie avant de la pousser dans les ténèbres. Elle oubliait même des ténèbres, elle ne voyait plus que l'émotion forte de sa découverte du théâtre et de la musique. Maéva n'était-elle pas musicienne, d'ailleurs ? Esther rêvait de retourner à Chtonie... quelques minutes avant de la détruire. Revoir une dernière fois tout ce qui était de plus beau. Et vite tout faire disparaître, tout oublier, reprendre le travail avant que cette malédiction n'ait le temps de la reprendre. Esther posa même ses affaires par terre, signe qu'elle allait rester un petit moment. Elle n'avait pas envie de repartir de sitôt, non ! Et même si soudain son estomac se nouait, si les souvenirs revenaient brusquement... les larmes qu'elle retenait lui faisait du bien, et elle se sentait vivre. n ne sentit même pas la tristesse quand elle répondit:

- C'est la plus belle surprise que j'ai eue depuis des années...

Mais la réalité les rattrapait toutes les deux. Tout ce qui importait Maéva et tout les autres, c'était de ne pas se faire découvrir. Tout ce qu'elle espérait, c'était rester en vie. Et qui était à l'origine de tout ce désordre ? Qui était leur plus dangereux ennemi ? Esther elle-même. Ne pas se faire découvrir, c'était déjà trop tard. Même si elle n'avait dit à personne qu'elle savait qu'ils avaient un repère secret où ils cachaient la grosse majorité de ce qu'ils avaient et que continuer à faire fouiller les maisons n'était qu'un moyen qu'elle avait trouvé pour ne pas regarder la réalité en face, pour ne pas avoir à les dénoncer directement, chose qu'elle se refusait malgré elle, dans tous les cas elle pouvait à tout moment dire la vérité. Ils étaient en danger par sa faute uniquement... pour l'instant. Cependant, elle se doutait que certains avaient pris des espions. Ne devrait-elle pas faire de même ?

- Je comprends. Vous avez mon soutien.

Alors qu'elle s'apprêtait à dire qu'elle était juste venue se promener pour prendre une pause - l'incinérateur était une très bonne raison de sortir -, un visage connu apparut soudain. Esther reconnut immédiatement la fille qu'elle avait laissé fuir. Elle était aveugle. C'était certainement une chance qu'elle soit au courant de ce secret, elle avait moins peur de se trouver devant elle. Peur, non pas dans le sens où elle craignait cette jeune femme - même si elle faisait une tête de plus qu'elle - mais dans le sens où elle pourrait se faire repérer... et dénoncer ? Elle pourrait vite dire à Maéva qu'elle n'était pas du tout stagiaire dans un incinérateur mais qu'elle faisait bel et bien partie de la police scientifique. Cependant, Esther n'avait pas du tout l'intention de perdre Maéva quand elle venait tout juste de la retrouver. Toutefois, elle eut l'impression que la Chtonienne ne l'avait pas remarquée. Si elle gardait le silence, il n'y avait aucun risque. Si Esther était sûre de ne jamais s'être trouvée en face, qu'est-ce qui l'empêchait d'avoir été entendue ? Elle ne savait plus quoi faire. Garder le silence, peut-être, mais si Maéva lui posait une question, elle serait suspecte de ne pas répondre. Si Antonia ne l'avait pas remarquée et que brusquement son amie annonçait sa présence, si elle se mettait à lui parler, elle serait bien obligée de dire quelque chose. En attendant, elle restait tendue. Elle avait presque envie de partir en courant.

-Merci Esther. C'est pas facile tous les jours mais bon...

- Oui, c'est une bonne idée.

-Il faut que j'y aille...

- Où veux-tu aller ? On pourrait rentrer, ça serait raisonnable..... Sinon , tiens, j'ai ton autocollant.

Inutile de te cacher. Toi. Oui, toi, à côté. Je sens ton souffle. Tu es là. Ne te cache pas. Tu ne parles pas. Tu es muette. Aurais-tu peur de moi, Esther ? Antonia saisit plus fort la main de Maéva. Elles vont partir. Et Esther, comme si elle n'avait pas existé. Et Maéva, elle lui dirait pourquoi. Elle lui parle. Elle ne devrait pas. Sait-elle ? La vérité ? Un mensonge ? Qu'a dit Esther ? Peut-être n'est-ce qu'une rencontre... imprévue... sur le moment... Non. Elle n'aurait pas pu parler. Pas à une inconnue. Pas à elle. Maéva est prudente. Si elle n'a que cela comme qualité. Pas douée. Mais prudente. Et passionnée. C'est ce qui est important. Passionnée. Elle ne les trahirait pas. Antonia le sent. L'entend. Dans la musique qu'elle joue. Sur son piano. Quand elle passe ses propres main sur le clavier déjà utilisé. Quand elle est dans la salle à côté. Elle n'est pas bien douée. Elle est impressionnante. Parce qu'elle est très bonne. Elle s'y connaît. Mais pas de génie. Génie ou pas, elle aime la musique. On le voit. Tous. Son public le voit dans la salle. Elle accepte de partir. très bien. Antonia la tire un peu derrière elle. Vite partir. Elle n'en peut plus de cette présence. Elle n'en peut plus. De celle là. Ça suffit. Elle sent encore sa respiration. Antonia avance et la force à venir. Oh ! Quelle surprise alors. Elle lui parle. Elle lui dit au revoir. Oui. Elle la connaît. Elle. la scientifique. La meurtrière. Tu sais qu'elle l'a tué, Maéva ? Tu ne sais même pas qu'il est mort. Tu sais que c'est ma faute, cette histoire ? Elle ne peut rien dire. Comment expliquer qu'elle la connaît ? Le silence est leur seul refuge. Toutes les trois. Aucune ne peut plus rien dire. Antonia part plus vite. par désespoir. Elle entraîne Maéva derrière elle. Elle doit lui dire ? ou se taire. Elle est perdu. Ne sait plus. Ah ! Lui, s'il était encore là ? Mais il est parti. Il l'a quittée. Il est parti dans l'autre monde, comme disent les livres. Mais il est parti pour toujours, et elle crie, elle crie... elle attend son aide. Et elle peut pleurer, pleurer, toujours autant de peine. Elle peut rêver, rêver, il est toujours absent.

- On peut aller manger. J'ai faim.

Maéva est là. Mais Antonia sent que son regard ne suit pas. Son regard... est toujours là-bas. Retournée. Cette malédiction qu'elle voit s'étendre. Retournée. Et l'autre attrape son regard. Retournée. Esther a la victoire. Encore. Une fois. De plus. Esther est le pouvoir. Esther est la police. Toujours la victoire. Ah, mais il faut la sauver ! Antonia n'ose pas s'arrêter. Sauver Maéva de cette emprise. Les ombres du monde convergent sur elles. Elle perçoit le noir par ses autres sens. Elle touche du noir. Main noire. Celle qui a touché l'ennemi. Elle entend ce brouhaha. Noir. Elle sent. Les machines. L'acier. Et la douce odeur des pages ? Absente. Noire. Elle aussi. Et ce goût amer. Amertume. Cette boule dans sa gorge. Trahison. Noires les flots de la science. Marcher plus vite. Ne plus être à proximité d'Esther. Antonia sent tout. Elle découvre la lumière au bout du tunnel. Le danger est derrière. Voilà. Elles sont hors de portée. Alors elle s'arrête. Pourquoi se mettre face à Maéva ? Elle ne la regardera jamais dans les yeux. Perturbant, n'est-ce pas ? Ne jamais être regardé dans les yeux... quand on nous parle. Elle ne sait pas, en fait. Parler ou se protéger par le silence. Mais si Maéva ne sait pas. Mais si elle ment. Mais... non. Elle aime la musique. Antonia ne saurait en douter. Elle aime Chtonie. Elle se met en danger. Elle est active. Alors, la prévenir ? Mais que va-t-elle dire ? Ensuite ? Je connais Esther parce que c'est elle qui l'a tué. Tu te souviens de lui, n'est-ce pas ? Tu ne l'a pas vu depuis un moment, n'est-ce pas ? Tu te demandes ce qu'il est devenu, n'est-ce pas ? Est-ce que c'est lui qui t'a recrutée, toi aussi, Maéva ? Est-ce que tu sais qu'il n'en trouvera jamais d'autres comme nous, Maéva ? Est-ce que tu sais qu'on a perdu notre plus grand chef d'orchestre ? le chef d'orchestre de Chtonie. Celui qui nous met toutes en place. Celui qui nous guide. Celui qui nous donne les ordres.

- Tu étais avec quelqu'un ?

C'est ça, la solution ? Faire comme si elle n'avait rien vu. Lâcheté immonde. Encore. Aucun courage. Vie maudite. Vie détruite. Depuis qu'on la posée au jour. Dans une cave, et qu'elle n'a pas vu le soleil. Et qu'elle n'a pas crié de sentir tout à coup le mal aux yeux. Elle n'a jamais eu mal aux yeux.

- Merci beaucoup pour l'autocollant. Je suis sûre que le violet ira très bien avec... Ma batterie.

-D'accord Allons-y.

- Oui une jeune femme que j'ai connu y a quelques années et elle m'a reconnue, alors que j'étais prés du mur à t'attendre.

- Je t'en prie. Pour ta batterie, je suis sur que ce sera parfait.

-Je te laisse choisir, où je veux manger ? Ici ou chez nous?

-Au faite tant que j'y pense, pourquoi c'est à moi que tu as demandé d'aller chercher ton autocollant?

Esther eut à peine le temps de finir sa conversation. Elle entendait encore Maéva se lamenter de leur mauvaise situation, leur difficulté à être toujours cachés. La remord le prit un cours instant. Un remord qu'elle ne connait pas. Une sensation très désagréable et surtout l'horreur du doute. Oui, elle avait toujours trouvé que rester dans le doute était la pire chose qui soit. La pire situation. Encore lycéenne: est-ce la bonne réponse que je tape sur ma copie ? Est-ce que j'ai le droit de m'approcher de mon professeur ? Etait-il bien à l'arrière de la voiture hier ? Puis dans sa vie. Quand elle était arrivée à Versailles, pour des petites choses, le chemin qu'elle prendre, ou avec les Chtoniens, l'espoir que ce n'était qu'une erreur, qu'il y avait un autre sans à cette histoire. Même un autre monde à cette réalité. un monde où les gens sourient et ont le droit de sourire, où ils sourient au milieu de leur malheur. Esther regarda Maéva dans les yeux. Elle voulait voir à nouveau cette lumière de leurs yeux. les yeux verts de la jeune femme brillaient de vie et de joie. Pourtant, tout ce qu'Esther y trouva fut la confirmation de ce qu'elle redoutait. la peur détruisait tout ce bonheur, la peur et une inlassable sensation de tristesse même dans les meilleurs moments. Non la tristesse ne pourrait jamais les quitter, ni eux ni Esther, parce qu'ils avaient goûté au fruit de l'humanité. Ils avaient goûté à la vie heureuse, et maintenant ! Ils n'avaient plus qu'à regretter.

- J'espère qu'il ne t'arrivera rien.

Antonia et ses lunettes de soleil cachèrent ce regard. Elle entraîna Maéva derrière elle. Esther, pétrifiée, ne sut comment réagir. Son silence était affreusement impoli, surtout quand Maéva lui sourit en s'excusant de devoir y aller. Antonia avait toujours la tête tournée dans une autre direction. De toute façon, peu importait l'endroit vers lequel elle regardait, elle ne voyait pas. Mais c'était un fait qu'Esther n'arrivait pas à concevoir. Sa seule impression était que la nouvelle venue refusait de lui faire face et de la regarder. Un vague espoir se maintenait sur le fait qu'elle pouvait ne pas l'avoir remarquée, tout simplement. Un bien maigre espoir. Cependant, par prudence, elle fut tentée de se taire et scella leur rencontre d'un bref signe de la main. La seule qu'elle pouvait, qu'elle avait le courage de faire, bien qu'elle se sentît coupable de rester muette. Alors, elle n'avait toujours pas dit un mot, les deux jeunes femmes étaient loin désormais. Et Esther était seule au milieu du centre, ne sachant que faire... à part rentrer. Immédiatement, elle fit demi tour pour retourner au travail. le venin artistique se répandait dans la moindre de ses pensées, dans le moindre aspect de sa vie. Voilà pourquoi il devait être détruit. Par tous les moyens. Avant qu'il ne la détruise.

Cet univers oppressant... Des gens partout... Une odeur de machines... Antonia déteste cette odeur. Alors elle sort. Avec Maéva. Hors du centre commercial, vite... enfin. Elle reconnaît la caresse du soleil. Il ne fait pas chaud. L'hiver... Janvier... Il fait froid. C'est normal. Précipitation. Maéva a l'air surprise. Sa main dans la sienne. Elle sent des vibrations. Perdue. Inquiète. Incompréhensible, cette attitude. Mais alors elle ne sait vraiment pas. Avec qui elle était. Elle va lui répondre, bientôt. Antonia n'a pas besoin de se retourner. Elle est imposante. Grande. Mystérieuse. Elle inspire le respect. D'accord, allons-y. Oui, Maéva consent. Elle ne peut rien faire de plus. Eux tous, dans leur brouillard, ils consentent. En public. Puis dans le secret. Ils mentent. Ils sont dehors. Au grand air. Pourtant, eux, ils ne connaissent pas. Le soleil et le ciel bleu. Bleus. Peut-être. Qui lui assure qu'on ne lui ment pas ? Qui lui assure que le soleil n'est pas bleu ? On lui avait bien dit que sa robe était violette. Elle y croit. Violette. Couleur du lilas. Le beau violet. Elle n'en sait rien. Elle croit à la couleur du ciel. Et cet autocollant, Maéva, il est violet ? Vraiment ? Elle va y croire. Elle n'a rien de mieux à faire. Y croire, toujours, faire confiance. la confiance... elle ne devrait pas miser dessus. Pas elle. Les autres, avec leur niveau surhumain et leur passion pour la dictature des mathématique. Enfin dehors. Elle lui lâche la main. Elle est devant elle. On dit qu'il faut regarder les gens en face. Quand on parle. Elle regarde. A travers ses lunettes. Elle ne voit pas ses yeux. Elle n'a pas besoin. Elle lui demande. Tu étais avec quelqu'un. Elle sait la réponse. Elle sait qu'elle va mentir. Ou pas. Attendre. Un moment. Maéva, tu hésites ? Peut-être ? Mais je sais qui était là. Ne mens pas. Connue, reconnue. Voilà ce qu'elle entend. Elle l'a connue. Un choc. Soudain. Mais encore. Ce n'est pas grave, connue. On connaît tous des gens. Mais reconnue. Reconnue dans quel sens ? Elle sait qui elle est, alors ?

- Pardon ?

Elle la reprend. Par le bras. Violemment cette fois. Elle l'amène dans un coin de rue. Il n'y a personne, ici. Normalement. Mais elle ne peut rien dire. Trop dangereux. Elle écoute. Non, personne. Sûre et certaine. Personne autour. Mais si... Si, toujours si. Si elle se trompe ? Si en fait il est là, l'intrus, dans le noir à côté ? Si elle n'entend plus, soudain ? Si en fait... elle n'a pas été assez prudente. dans la panique. Dans la précipitation. Dans la colère. Connue, reconnue. Maéva connaît les scientifiques. Est-ce qu'elle sait qui elle est ? Est-ce qu'elle sait le danger qu'elle court ? Est-ce qu'elle sait combien de vies elle a déjà prise ? une jeune femme qu'elle a connue, mais quel blasphème ! On ne connaît pas ce genre de femmes. On les hait. On les fuit. On devrait même les tuer. Mais les scientifiques tuent, pas eux. Pas eux, les pacifiques et les doux Chtoniens. Eux, ils peuvent rester en vie. Ils en ont le droit. Antonia attends le silence. Le plus complet. Enfin... Une bourrasque lui amène les cris les plus lointains. Il n'y a personne, tout va bien. Si elle ne se trompe pas. Si elle peut au moins se faire confiance à elle-même, dans ce monde de tromperie et de peur. Est-ce qu'il faut redouter ses ennemis, maintenant ? oui, on doit toujours se méfier des amis. Rien ne nous permet d'être sûr qu'ils sont toujours là, avec nous. Mais les ennemis... Oh, on peut s'attendre à tout. Voilà bien longtemps que Maéva s'en serait débarrassé si elle l'avait voulu. Si elle l'avait vraiment voulu. Apparemment, elle ne le veut pas.

- Est-ce que tu sais au moins qui elle est ?

Partagée. Le doute et la crainte. la crainte douteuse. A la fois pour elle ou pour Maéva... elle ne savait pas. Pour elle-même, tombée dans le piège des traitres, des espions et de la science. Soudain un éclair, puis la nuit. Fugitive vision. Dont la pâleur fait renaître un souvenir. La nuit dans le parc... Lui à ses côtés. Ils sourient. Un moment de bien-être, un instant de liberté. Elle fredonne une... chanson. Quelle erreur. Il lui prend la main et lui dit de se taire. Bien sûr, elle se tait, mais elle sourit quand même. Puis ils s'apprêtent à partir. Elle était venue chercher des partitions, ce jour-là. Elle les range dans la sacoche de son ordinateur. Rien de plus naturel, un ordinateur. Il la guide, son bras autour de ses épaules. Elle entend des pas, il voit des lumières. La police. Rien à craindre. Un petit mouvement dans le coeur. Une voix qu'elle a reconnue aujourd'hui. Ils avance. Antonia ne voit pas le trottoir. Il oublie de la prévenir. Elle manque de tomber, une partition s'échappe. Une partition, là. Sous l'oeil de la force publique. Sous l'oeil de la science. A côté, il tremble. Elle a entendu le bruit du papier. Pourtant, Antonia fait comme si elle n'en savait rien, elle demande ce qui lui arrive, elle dit qu'il faut rentrer. Elle comprend. Ils courent. Et cette même voix, encore, juste là. Ils sautent par-dessus un mur et il s'écrase par terre. la cheville tordue. Fuis, Antonia. Va chercher de l'aide. Elle a le temps, pourtant. Chtonie est juste là. Le garde à l'entrée. Il pouvait le sauver. Tout va bien, mademoiselle Racine ? - Oui, j'ai cru voir une ombre. Mais c'est toujours la même voix. La voix d'Esther.

- Je me fiche de manger, je suis venue t'éloigner d'elle. Bon sang, Maéva, pourquoi tu lui parles ? Pourquoi tu parles à n'importe qui ? Est-ce que tu as perdu la prudence à ce point ?

Antonia, c'est elle qui ne parle à personne. Caractère noir. Apparence sombre. C'est elle, pas Maéva. Rester marginaux, on va les reconnaître. Se fondre dans la masse, ils sont sauvés. Il n'y a qu'elle qui refuse. Qui a toujours refusé, toute sa vie, de parler aux autres. Eux, ils leur parle. Elle, elle fuit. Elle s'en va. Elle ne veut pas entendre de fausses voix amicales parce qu'elle n'a confiance en personne. Elle a raison ? Peut-être. Ou pas. Elle ne fait pas comme les autres. Elle voudrait, parfois, mais elle ne fait jamais comme les autres.

- Oh, je te l'ai demandé à toi parce que... tu étais là quand j'y ai pensé. Et puis... tu vois, tu sais à quoi ressemble du violet, c'est une assez bonne raison, non ?

-Et..

- Qui elle est? C'est Esther et elle fait un stage dans un centre d'incinérateur...

- Je ne parle à n'importe qui. Je la connais, c' est tout. Et non je t'assure que je n'ai pas perdue ma prudence.
Mais toi... Il y a un instant tu me demande si j'étais avec quelqu'un et la quand je te dit que suis avec une amie, tu dit que tu veux m' éloigner d'elle. La vérité Antonia, toi aussi tu la connais??

- Oui , c'est une bonne raison... Nous devrions rentrer, il ne fait pas chaud et je me sentirais plus en sécurité à la maison qu'en dis tu?

Elle retire sa main brusquement. Antonia soupire. Oui, c'était fort. Oui. Mais les trahir tous de cette façon, ça ne l'est pas, peut-être ? Elle n'est pas rassurée d'être dans un coin de rue. Là où personne jamais ne passe. Là où personne ne fait attention à elles. Maéva coupée dans sa phrase. Parole coupée. Le propre des scientifiques. Pas celui des Chtoniens. Laisser parler. Laisser crier. Laisser vivre, nom d'un chien ! Mais vivre sous leurs griffes, ce n'est pas ce qui s'appelle vivre. Non, Antonia ne les laissera pas. S'approcher et les détruire. s'approcher et les ronger. Chaque mur de leur ville et chaque page de leurs livres. Ils resteront entiers. Du premier au dernier. Du début à la fin. La moindre le lettre. Le moindre mot. Tout est important. S'ils les détruisent, n'est-ce pas parce qu'ils avaient peur ? C'est si facile de gouverner sur ceux qui n'était pas capables de réfléchir. Mais les Chtoniens, eux... Ce n'est pas la même chose. Les Chtoniens sont les plus dangereux de tous. Ils savent ce qu'était un vrai monde, et l'injustice. Ils savent ce qu'est un homme. Maéva, tu sais ce qu'est le monde. Tu crois aux mensonges. Regarde en elle et voie qu'elle n'a rien d'un robot. Voie qu'elle n'a rien d'un mouton que l'on conduit librement. Elle est intelligente et elle sait où elle va. Esther... Aucun scientifique ne l'aurait laissée s'échapper. Ou pour qu'elle soit parmi eux, ou pour la tuer. La peur... Est-ce qu'elle agit pas peur ? Antonia comprend cette crainte. Elle comprendrait. Elle n'a pas de mal à savoir que certains renoncent sous la menace. Menace ou non, ce sont les mêmes. les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être dangereux. ceux dont il faut se méfier, ce sont les petits prêts à obéir aux ordres sans discuter. Ceux qui ne réfléchissent pas.

- Un incinérateur ?

Antonia éclate de rire. Un incinérateur ! Rien de plus ridicule. Elle éclate de rire. Rire, rire encore. Sombre. mais un rire sombre. Un incinérateur ! Voilà le seul mensonge qu'elle avait trouvé. Mensonge drôlement proche, pourtant. Si proche de la réalité. Oui, Esther, côtoie les incinérateurs. Elle brûle les gens. Elle brûle... plus précisément... les Chtoniens. Pendant qu'ils sont encore vivants, non ? Ou une fois qu'elle a déjà détruit leur vie ? Une fois que tout leur corps n'est plus qu'une plaie. Une fois que méconnaîtrait l'oeil même de leur père, tant la peau a disparu, tant les coupures, les brûlures et les hématomes sont nombreux. Sous la torture et la menace, sous leur silence intangible. Sous leur lutte effrénée pour garder le silence. Pour leur combat afin de rester humain. Oui, là, alors, peut-être qu'Esther les brûle. Là, c'est le bon moment. Mais stagiaire ! Certainement pas ! Stagiaire... Et quoi d'autre. Regarder, peut-être ? Apprendre ? Retenir ce qui fait le plus mal. Retenir le plus haut cri de souffrance. Stagiaire, mais oui ! On peut être stagiaire dans la chambre des tortures, on peut être stagiaire dans la maison de la mort.

- Ah oui ? Et c'est elle qui t'a dit ça ? Eh bien, Maéva, je renouvelle mon conseil, un peu de prudence. Cette fille qui tu a l'air de si bien connaître fait partie de la police scientifique.

La vérité, si dure à entendre. Et elle ? Et elle, elle la connaît ? Dire la vérité. Entendre la vérité. Comprendre la réalité. Il n'y a rien que l'on puisse faire pour y échapper. La vérité qui les poursuit. Elle aussi pourrait mentir. Ils vivent dans le monde de la vérité, eux. Non, ce n'est plus en son pouvoir. Il vivent dans la connaissance et la culture. Il vivent, tout simplement. Pas comme des moutons. Ah, pourtant, combien de fois Antonia voit-elle à quel point la vie des autres est plus facile que la leur ! ne jamais penser. Ne jamais avoir peur. Et craindre même ses amis. Elle ne peut pas répondre, maintenant, ou dire qu'elle la connaît. Elle ne peut pas dire que l'un d'eux est mort quand ils ne le savent pas. Elle ne peut pas dire que l'un d'eux est mort quand elle était là. Mais la voix... la voix d'Esther, son seul témoignage. Comment l'expliquer ?

- Non, je ne la connais pas. Je viens d'apprendre son prénom. Mais si tu veux la vérité, écoute bien : je suis peut-être incapable de connaître son visage, j'ai une très bonne mémoire auditive. Je ne me suis encore jamais trompée et je ne pense pas prendre de risque en t'affirmant que c'était cette même voix qui donnait des ordres aux flics l'autre jour.

Elle peut fuir les explication. Elle ne sous-entend rien dans ces phrases. Entendre la voix des policiers, rien d'exceptionnel. Même pour elle. Il lui aurait fallu se contenter de passer das la rue. Ils sont partout. Quand on les cherche. Quand on les fui. Ils nous poursuivent.

- Oui, si tu veux, rentrons.

-Je ne vois pas pourquoi tu rigoles, mais passons.

-Je... elle avait l'air si gentille et elle n'a rien fait alors qu'elle aurait le faire, c'est ça que je ne comprend pas. J'ai été prudente crois moi, mais...

-Je te crois Antonia , je ne remets pas ta parole en doute, c'est juste que j'ai du mal à y croire. Tout s'effondre.

-On y va.

Un désespoir dans ses yeux... La sincérité... Si elle avait pu le voir, si seulement elle avait pu... Antonia ne voit rien. Elle entend cette voix tremblante qui lui répond. Tremblante de peur, secret découvert ? tremblante de tristesse, vaincue par les apparences ? Les apparences sont trompeuses. Pas d'apparences, pas de pièges. Elle la sent quand même au moins dans un changement d'attitude. Des excuses, des justifications. Savoir que l'on a tort. Pas besoin de se justifier devant la vérité, il suffit de prouver. Maéva voit son erreur. Antonia soupire. Naïveté. Même parmi eux. Même parmi eux, oui, eux qui savent percer la nature humaine. Antonia ne baisse pas la tête. Elle se tourne d'un autre côté. On lui a déjà dit "Ne me regarde pas !" Dans les moments difficiles où on ne veut voir personne. C'est comme si elle n'était pas là. On lui dit quand même. Alors elle doit tourner la tête. Mais quoi ? Elle va continuer à écouter Maéva se lamenter et se désoler ? Elle avait l'air gentille, dit-elle. Est-ce qu'ils n'ont pas tous l'air gentils ? Elle parle, puis se tait, puis parle de nouveau. Contre le mur, à présent. Un bruit. Il approche, il prévient Antonia. Le bruit du mur. Il n'y a toujours personne, mais quelqu'un arrive. Elle entend... ses pas... Il passe. Ne leur dit pas bonjour. S'en va. Elle aussi, bientôt, elle va s'en aller. Elle repense... encore et encore... Elle réécoute. La conversation. Un incinérateur. Et l'on y croit ! Quelle belle actrice. Elle aurait été tellement douée à Chtonie. Pourquoi les poursuit-elle ? Et elle la connaît... depuis quand ? Elle sait quelque chose ? Si elle savait, elle ne lui parlerait pas. Si elle savait, puisqu'elle la connaît, Maéva ne serait plus vivante depuis longtemps déjà. A moins qu'elle se serve d'elle...

- Eh bien, ne lui parle plus, c'est tout ce que je peux te dire. Ce serait même peut-être encore plus prudent que tu fasses comme si elle n'avait jamais existé.

Elle cherche, dans sa tête... Tout, tout au fond de sa tête. Elle cherche si c'est mieux. Mieux ? Esther se servait d'elle ? Alors plus un mot. Muettes comme une tombe. Si elle ne savait rien encore... soupçons, profonds soupçons. Antonia n'ose pas demander. Maéva, peut-être, sait quelque chose de plus. Peur de la réponse. Manipulée depuis combien de temps... ? Elle va tenter, pourtant. Elle va affronter sa peur et savoir... Esther, tu seras démasquée. Tu es déjà passée dans le camp des méchants.

- Est-ce qu'elle sait quelque chose ?

Question courte. Et sèche. Quelqu'un vient, encore, passe, ne dit rien. Pas de politesse. Elles sont seules. Un bonjour n'écorche pas la langue. Mais tant mieux. Elles sont là et discrètes. On se fiche bien de savoir ce qu'elles disent. Antonia fait un pas vers le côté. Les murs ont des oreilles. Parfois. Elle surveille partout sans rien voir. En attendant une réponse. A-t-elle déjà répondu ? En fait elle ne veut pas entendre... non plus. Elle préfèrerait presque rester dans le doute. Non. Le doute, bien pire. Une fois dit, plus de peur, elle saura. Ou si... une autre peur. Plus supportable, peut-être. Sans doute. Elle espère. Maéva veut rentrer. Sa main. Elle sent sa main sur la sienne. Aussitôt, elle la retire. mais qu'est-ce qu'elle croit ? Elle aurait voulu connaître ce qu'on appelle le regard noir. Elle voulait le lui donner. Pas de regard, pourtant... Elle ne veut plus la voir. Elle s'en va. Seule. De son côté.

- Non mais qu'est-ce que tu crois ? Je ne te parlais pas par amitié, juste pour nous éviter les ennuis. Alors arrête de te fourrer dans le pétrin et bonne soirée.

- Oui, ne plus lui parler et faire comme si elle n'existait pas, c'est ce que je devrais faire....

- Elle ...

-Je pense que je l'avais compris tu me le rapelle assez souvent à croire que ça te plaît de le dire mais un peut d'aide peut toujours service. Tu n'en veux pas? Ne la prend pas....Ho et puis zut, tu m'énerve à la fin...

Au moins, elle tiendra compte de ses conseils. Conseils ? Non, ordres. Nécessité. C'est la vie ou la mort. L'abandon de ceux qui l'ont croit être des amis. Et s'ils l'étaient, en fait ? Antonia se perd. Ils ne sont pas amis, eux. Pas eux. Jamais. Ils ne savent même pas ce que c'est un ami. Elle regarde... au sens figuré. Elle fait semblant de voir. Mais elle entend, elle pense à ce qu'elle connaît. Et dans ses ténèbres elle peut voir, alors, combien ils n'ont plus aucune idée des valeurs humaines. Elle voit les gens se rencontrer et s'oublier, se joindre et se haïr, s'unir et s'oublier. Le grand amour lui-même devient une idée gnangnan. Est-ce qu'il n'a pas été la source de toutes les passions, de toutes les actions, un jour ? Elle n'en doute pas. Elle le voit tellement porté à son apothéose dans la belle grande littérature. Et il s'agit de lui donner un sens, de le maîtriser. Et elle les apprend tous dans l'immédiateté de leur sentiment. Ils ne doivent pas savoir ce que ça veut dire non plus. Antonia songe... à la carte du pays de Tendre. De Madame de Lafayette. On lui a déjà décrit cette carte. Elle voudrait savoir à quoi elle ressemble. Elle demandera à quelqu'un, un jour. Maéva et derrière elle, elle pourrait... Mais elle va croire encore qu'elle la prend pour une amie ? Alors qu'elle s'en va, Maéva la suit. Elle n'a pas l'air de prendre très bien sa réaction. Et puis quoi encore ? Elle pense qu'elle va lui sauter dans les bras ? De l'aide... Ah, ce n'était que de l'aide. De l'aide pour qui ? Qui avait le plus besoin d'aide, parmi elles ? Est-ce qu'elle devient hypocrite comme eux ? Antonia ne s'arrêtera pas de la détester. Même aujourd'hui.

- Eh bien, non, je n'en veux pas. Bonne journée.

Elle disparaît ensuite. Elle va rentrer peut-être, ou retourner chez Luciana. Ou marcher un peu ici. Ou ne rien faire. Se perdre dans le noir. Se perdre dans ses pas. Se laisser guider. Mais Esther est toujours ici, dans le centre commercial. Ou elle est repartie, un plan machiavélique, elle sait déjà qu'elle a deux potentielles victimes. Toutes les deux aussi naïves, peut-être ? Combien d'amis a Antonia ? très peu, par chance. Elle ne risque pas grand chose. A part les espions. les espions...

Spoiler:

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